Le grime, histoire d’un genre musical à part entière
Lorsque l’on parle de Hip-Hop, on discute rap, trap, break, etc. Mais si l’un des membres de la discussion, l’air instruit et passionné, parle de grime, il s’agira de comprendre. Vous ne savez pas encore que derrière ce mot étrange se cache tout un univers musical ardent de revendications et aux sonorités uniques. Ainsi, vous interrogez votre ami, il devrait vous dire à peu près cela :
Le Grime est né en Angleterre, dans le quartier de Bow à Londres, à l’aube des années 2000. C’est un genre musical récent, comparé au Rap US qui par exemple ne va pas tarder à souffler ses 50 bougies : l’ancien! Encore plus étonnant, les inspirations musicales du grime sont loin des samples de disco ou de rap US comme on à pu le faire en France : parce qu’en France clairement on à hérité notre pera des Américains, Grand Master Flash, Run Dmc, et tout et tout, tu connais. Le grime quant à lui puise son inspiration dans la Dub, la UK Garage et même parfois le reggae.
Naissance d’une révolution
Si l’on doit poser une track représentative de la naissance du grime, ce serait certainement l’Eskimo beat de Wiley. C’est un véritable OVNI auditif. Quand vous avez écouté ce son, vous vous êtes certainement dit 2 choses : « Wow, où sont mes oreilles ? » , « Wow quel genre de ouf peut s’amuser à poser un texte là-dessus ».
Voilà une démonstration :
Wiley sort son Eskimo EP en 2002. C’est certainement le premier riddim ( terme Jamaïcain : une succession de notes qui donne un rythme) à vraiment tourner dans les caves de Londres et sur les ondes pirates. Il aura tellement de succès avec cette track, qu’au départ l’appellation « grime » n’existait pas. On appelait cette nouvelle musique L’Eskibeats. L’Eskimo Beats est tout d’abord le produit d’une bande de potes, qui forment le Ruff Sqwad en 2001, dont Wiley fait évidemment parti. Puis arrive un jour où l’on place entre leurs mains un seul et unique ordinateur, équipé toutefois de Fruity Loops 3 ( logiciel de création et de composition de musique électronique ). C’est alors que Prince Rapid et tout le squad, s’emparent du logiciel, sans trop savoir comment ça marche. Et tadaa, le Ruff Sqwad, sort à partir de rien, son premier riddim. Malheureusement, on ne sait pas vraiment quel est le premier riddim à être paru officiellement, mais l’eskimo beats en fait bien parti.
Une musique de son temps
Là où le grime se différencie encore plus du rap, dans son histoire, c’est notamment dans son moyen de diffusion et dans les valeurs soulevés par ce mouvement musical novateur. En effet, en Angleterre, au début des années 2000, les radios pirates étaient très répandues. Je vous conseille d’ailleurs l’excellent film Good Morning England, se déroulant sur un bateau qui tient une radio pirate. Très beau et très drôle.
Bref, l’une de ces radios était bien connue : Rinse FM. Rinse était animée en partie par DJ Slimzee, qui contribua largement à la diffusion des différents dubplates qui paraissaient. Il était donc plutôt facile d’écouter des Eskimo Beats, des Igloo ou bien des Rythm « N » Gash à longueur de journée.
Là où des rappeurs se battaient pour une diffusion radio aux USA ou bien en France, en Angleterre ce fut immédiat.
De plus, le grime soulève deux valeurs très importantes : la liberté d’expressions et la performance. Les riddim composés par les producteurs étaient tous libres de droits, non pas par quelconque législation, mais par nature. Parfois on ne connait même pas vraiment l’artiste qui à crée la prod : par exemple pour Functions on The Low de XTC, on ne connait rien de ce génie si ce n’est qu’il faisait à moitié partie du Ruff Sqwad et qu’il n’a fait que ce riddim totalement magique.
Stormzy à repris le riddim en 2015 pour le célèbre morceau Shut UP
De ce fait, tout le monde pouvait rapper sur les prods de tout le monde, dans un seul et unique but : détruire quiconque aurait déjà posé dessus, en faisant encore plus sale.
C’est la deuxième valeur, la performance, qui à aidé le grime à traverser déjà plus d’une décennie. Sur Rinse FM, des rappeurs tels que Wiley, D Double E, JME, Kano, etc. s’affrontaient pendant des heures entières. Si l’on devait citer un riddim connu, ce serait Morgue de Wiley, reprise par Skepta dans Nasty.
Le grime serait-il la réelle musique de la street, par la street ?
L’essence du grime c’est « tout faire avec rien ». Comme dit précédemment, le grime est né grâce à la MAO (musique assistée par ordinateur) avec un fruity loops qui tournait sur un vieux Packard Bell portable des années 2000. À la différence du Rap US, où il fallait se procurer au moins une MPC si ce n’est une 808 (des machines hors de prix à l’époque), pour le grime il a suffi d’un Packard et d’une licence gratuite de FL.
Le grime a été créé à partir de trois fois rien, à tel point que réellement tout le monde pouvait participer. De plus cette valeur fondamentale qui est la performance, présente cette musique comme une perpétuelle évolution de soi-même. Les riddim sont inscrits dans l’essence même du grime, tout comme le freestyle.
En France pendant une période les Rap Contenders tournaient bien, révélant l’Entourage ; et bien en UK, ils ont les Lords Of The Mics. Le concept des LOTM est à peu près le même que les RC, si ce n’est que les freestyles ont lieu exclusivement dans des caves ou des garages, et que la manière de rapper est beaucoup plus violente et rentre dedans.
L’influence de la Jamaïque apporte aussi ce timbre de voix atypique, qui différencie vraiment le rap US et le grime.
Le premier Lord Of Mics représente très bien toutes les valeurs du grime citées précédemment : ça transpire le ter-ter et la performance.
From the Bottom now we’re here
Le grime est le produit de gamins de quartier de Londres, tous réunis derrière un pauvre ordi, tripotant FL Studio sans savoir qu’ils étaient en train de créer une véritable révolution musicale. C’est un univers utopique, libre tant dans l’expression que dans la création et la diffusion. Un seul mot d’ordre : « Élévation », c’est à dire constamment produire le meilleur de soi même.
Ainsi le grime révèle un riche univers culturel aux valeurs et à l’impact intemporel. C’est vraiment passionnant et des artistes comme Skepta, Stormzy, Wiley, Dizzee Rascal, D Double E, Bugzy Malone, Jaykae, Jammer, Kano, Giggs, sont de réelles références.
Je vous conseille la série Top Boy, parue en 2011 et totalement imprégnée de cette culture UK de quartier. Kano y tient l’un des rôles principaux. En plus c’est dispo sur Netflix.
Je laisse le mot de la fin à Stormzy, qui explique en quelques secondes pour la BBC, la réelle différence entre le Hip-Hop et le grime. La frontière est infime, mais est bel et bien présente.